Hommage à Jeffrey Hutchings, un géant de la recherche et de la communication scientifique au Canada, parti trop tôt !

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Par : Louis Bernatchez, le 1er février 2022.

Jeffrey A. Hutchings, Jeff, né le 11 septembre 1958, nous a quittés le 30 janvier dernier. Il était professeur au département de biologie de l’université Dalhousie à Halifax, également titulaire de la « Izaak Walton Killam Memorial Chair in Fish, Fisheries and Oceans » ainsi que d’un poste de professeur à l‘ « Institute for Marine Research » de l’Université d’Oslo en Norvège.
Tout au long d’une carrière prolifique au cours de laquelle il a publié plus de 250 articles dans des revues primaires, ainsi que 3 livres (dont « A Primer of Life Histories: Ecology, Evolution, and Application » tout juste publié chez Oxford University Press), il a su plus que quiconque faire le pont essentiel entre recherche fondamentale, recherche appliquée et communication de la science à la société et aux décideurs.

Écologiste évolutif de formation, il a laissé sa marque indélébile dans plusieurs champs de connaissance, incluant l’évolution des traits d’histoire de vie, l’importance évolutive et adaptative de la plasticité phénotypique, l’étude des systèmes d’accouplement et de reproduction, la dynamique des populations ainsi que l’étude de la spéciation avec une prédilection pour les poissons comme systèmes d’étude. Mais la majorité des membres du RAQ se souviendront probablement surtout de la mise en application de ces connaissances fondamentales dans les domaines des sciences halieutiques, de la gestion des pêches, de l’évolution induite par la (sur)pêche sélective, des interactions entre poissons d’élevage et poissons sauvages, ainsi que de la conservation de la biodiversité marine.

En plus d’avoir présidé un groupe d’experts sur les incidences des changements climatiques, des pêches et de l’aquaculture sur la biodiversité marine canadienne qui a mené à la publication d’un rapport-phare publié en 2012 par la Société royale du Canada, il a également présidé le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (Cosepac) dont le mandat est de conseiller le ministre fédéral canadien de l’Environnement sur les espèces menacées d’extinction. Comme si ce n’était pas suffisant, Jeff a également été cofondateur puis président de la Société canadienne d’écologie et d’évolution (SCEE).

Bref son lègue scientifique est immense !

Pour l’ensemble de ses contributions, il a été élu membre de la Société royale du Canada (Académie des sciences) en 2015. En 2017, il recevait le prix international « AG Huntsman Award for Excellence in the Marine sciences ». Puis, il a été élu membre de l’Académie norvégienne des sciences et des lettres en 2018.

On se souviendra également de Jeff pour son ardeur à communiquer avec le grand public et les politiciens afin de promouvoir l’importance d’appuyer par la meilleure science les prises de décision relatives à la conservation de la biodiversité et la gestion des pêches. Ses dénonciations quant à l’inaction du gouvernement fédéral de l’époque face à l’effondrement désastreux des stocks canadiens de la morue de l’Atlantique malgré les avertissements et recommandations répétés des scientifiques des pêches (dont il faisait partie) ont mené en 1997 à la publication d’un article dans le Journal canadien des sciences halieutiques et aquatiques qui est devenu un grand classique et qui a soulevé de vifs débats (Hutchings, J.A., Walters, C., and Haedrich, R.L. 1997. Is scientific inquiry incompatible with government information control? 54: 1198–1210).
Critiquer aussi ouvertement et publiquement les responsables de la gestion des pêches quand on est encore qu’un jeune chercheur universitaire sans poste permanent exigeait toute une dose de courage et de conviction ! Un autre moment marquant et particulièrement éloquent de ses prises de position affirmées face à l’inconsidération de l’importance de la science par la classe politique fut le discours très inspirant qu’il a prononcé en 2012 en présence de plus de 1000 scientifiques devant le parlement du Canada lors d’un rassemblement historique (le plus grand rassemblement scientifique engagé de toute l’histoire du Canada) visant à dénoncer le dénigrement de la science et le muselage des scientifiques fédéraux par le gouvernement Harper de l’époque. Ça vaut vraiment la peine d’être visionné !

Tous ceux et celles qui ont connu Jeff de plus près vous le décriront comme une personne à l’esprit vif, érudit, affable et toujours à l’écoute de son interlocuteur, le genre d’écoute qui vous fait sentir important ! Les dizaines d’étudiants, collègues et amis qui ont exprimé sur les réseaux sociaux leur grande tristesse à le voir partir trop vite ne tarissent pas d’éloges pour décrire quel être humain extraordinaire il était. Pour ma part, je garde les souvenirs impérissables de collaborations scientifiques fructueuses, de longues discussions animées et enrichissantes, de bons repas partagés (toujours accompagnés de belles bouteilles!), de moments inoubliables lors de congrès et d’un « road trip » en Islande, mémorable à tout point de vue… Il a certainement été et continuera d’être une grande source d’inspiration qui m’a motivé et me motive encore à me prononcer sur l’inaction ou les actions injustifiables de nos décideurs dans un contexte de conservation.

Enfin, je vous invite à lire son dernier écrit qu’il venait tout juste de publier (Tensions in the communication of science advice on fish and fisheries: northern cod, species at risk, sustainable seafood) dans lequel il nous livre à tous et toutes, un dernier message, qui je l’espère, nous inspirera et nous motivera à suivre les traces du gentil géant qu’il était.
Tu nous manques déjà Jeff.

Merci pour tout !

Jeffrey A. Hutchings, 2022

“Being asked to provide advice because of your expertise is perhaps the highest calling one can have as a scientist. Transparent incorporation of independent science advice in government decision-making represents one of the greatest rewards to taxpayers in return for tax-supported investments in science. It costs a very great deal to generate scientific evidence; it can cost much, much more not to use it.” 

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